13/03/2007

Qu'est-ce que le lettrisme?


Fondé en 1945 par Isidore Isou, le lettrisme s'est imposé dans un moment de l'histoire universelle comme le seul mouvement révolutionnaire après le dadaïsme et le surréalisme. Ami de Tristan Tzara, père spirituel de Guy Debord, Isidore Isou proclame la destruction de la poésie à mot au profit d'une esthétique basée sur la lettre et le signe.
Au-delà de la poésie, le lettrisme développe une œuvre protéiforme et souvent méconnue, visant, grâce au concept de création généralisée, à transformer l'ensemble des branches du savoir : de la théorie de l'art au bouleversement de la société et de la vie.
Le lettrisme ne cesse pas, encore aujourd'hui, de faire débat même quand sonne l'heure de sa réévaluation historique. D'ailleurs le monde contemporain paraît de plus de plus donner raison aux prophéties lettristes soit pour les réaliser soit pour les combattre.
Le site lelettrisme.com s'est donc fixé 3 objectifs :
- constituer une introduction au lettrisme,
- permettre l'accès aux œuvres et à des documents rares ou inédits,
- montrer la persistance de ce mouvement qui continue de créer autour de la figure mythique d'Isidore Isou.
La poésie lettriste.
« Il importait pour cela de les (les mots) soustraire à leur usage de plus en plus strictement utilitaire, ce qui était le moyen de les émanciper et de leur rendre tout leur pouvoir. Ce besoin de réagir de façon draconienne contre la dépréciation du langage, qui s'est affirmé ici avec Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé – en même temps qu'en Angleterre avec Lewis Carroll -, n'a pas laissé de se manifester impérieusement depuis lors. On en a pour preuves les tentatives d'intérêt très inégal, qui correspondent aux "mots en liberté" du futurisme, à la très relative spontanéité "Dada", en passant par l'exubérance d'une activité de "jeux de mots" se reliant tant bien que mal à la "cabale phonétique" ou "langage des oiseaux" (Jean-Pierre Brisset, Raymond Roussel, Marcel Duchamp, Robert Desnos) et par le déchaînement d'une "révolution du mot" (James Joyce, E.E. Cummings, Henri Michaux) qui ne pouvait faire qu'aboutir au "lettrisme". » André Breton, Du surréalisme en ses œuvres vives, 1953

Le roman.
De même que l'objet figuratif, dans la peinture, s'était banalisé avec les abstraits, dada et le surréalisme, la prose alphabétique, après les jeux linguistiques de Finnegans Wake de Joyce, avait inventorié toutes les fictions et toutes les grandes combinaisons stylistiques possibles.
L'épuisement de ces deux formes justifiait la création de la structure hypergraphique qui retrouvait, à la fois sur le chemin de la recherche picturale et romanesque, le foyer des moyens de la communication où les deux arts ne constituaient qu'un seul domaine d'écriture unique.
En proposant, au cours de la phrase, le remplacement des termes phonétiques par des représentations analogiques, mais, aussi, par tous les graphismes cohérents et incohérents, acquis ou inventés, Isou, dans son ouvrage Essai sur la définition, l'évolution et le bouleversement du roman de la prose (1950), restituait l'unité originelle et apportait à l'art du roman, la matière neuve des notations multiples – idéographiques, lexiques et alphabétiques – capables de reconstruire, sur un plan neuf, l'histoire complète, amplique et ciselante, de la narration.
Le roman hypergraphique devait également s'enrichir de la graphologie, de la calligraphie, de tous les genres d'énigmes visuels et des rébus, comme il devait s'annexer, en 1952, avec Amos ou introduction à la métagraphologie, la photographie, les différentes possibilités de l'impression superposée, la reproduction sonore, le cinéma, l'architecture, pour intégrer l'ensemble des matières symboliques de la vie, toutes les philosophies et sciences du signe, depuis la linguistique et la grammaire, jusqu'aux techniques d'imprimerie, en passant par les mathématiques.
La prose hypergraphique devait être dépassée en 1956, par la prose esthapéïriste ou infinitésimale, fondée sur des particules romanesques ou non, visibles ou invisibles, dépourvues de tout sens immédiat et employées autant qu'elles permettent d'imaginer d'autres éléments inexistants ou possibles.
En 1960, le roman super-temporel ouvrait ses cadres vides à la participation active et infinie des amateurs intégrés dans l'œuvre à une place latérale, para-formelle, de simples supports actifs.
Le schéma qui suit tente de visualiser la place considérable occupée par le lettrisme, l'hypergraphie et l'esthapéïrisme au sein de l'ensemble visuel, depuis sa constitution utilitaire, dans les premières écritures, et après les explorations esthétiques, d'une part, de l'objet figuratif dans l'art plastique, d'autre part, du mot, dans l'organisation prosodique du roman. Le trait marqué en pointillé figure l'évolution parallèle des supports intervenant dans la réalisation de ces différents arts.
R. Sabatier
(Ver mais...)